Les Toraja d’Indonésie sont un peuple passionnant qui vit au milieu de l’ile de Sulawesi. Leurs cérémonies funéraire sont uniques ! J’ai eu la chance de beaucoup parler avec eux, des guides, des anciens qui m’ont permis de voir et comprendre leur tradition.
Si je devais résumer leur façon de vivre, je dirais que les Toraja vive pour réussir leur mort.
C’est assez étrange dis comme ça, mais je vous explique pourquoi.
Attention, il y a certaines photos qui peuvent heurter.
Sommaire
- 1 Où vivent les Toraja d'Indonésie?
- 2 Qui sont les Toraja ?
- 3 L'importance de préparer sa mort
- 4 Comment se prépare une cérémonie funéraire Toraja ?
- 5 Les animaux
- 6 La cérémonie funéraire des Toraja d'Indonésie
- 7 Sacrifices d'animaux aux cérémonies Toraja
- 8 L'après cérémonie
- 9 Cérémonie du Ma’nene
- 10 Grottes funéraires
- 11 Une culture classée au patrimoine de l'UNESCO
Où vivent les Toraja d'Indonésie?
Pour commencer, il faut savoir que Toraja veut dire : Peuple d’en haut. Ils vivent dans les montagnes du centre de Sulawesi, dont la ville principale est Rantepao.
Pour arriver au Pays Toraja, il faut être persévérant et faire 8h de trajet.
Cette zone s’étend sur 3000 km2 (essentiellement de la forêt et des rizières).
Qui sont les Toraja ?
Les Toraja d’Indonésie vivent dans ces montagnes depuis des centaines d’années. Difficile de dater leur présence, mais les premières traces écrites remontent à la fin du XVIIe siècle, après la colonisation Hollandaise.
Il est difficile de connaitre leurs origines, mais il semblerait qu’ils soient d’anciens Bugis arrivé en bateau. Les Bugis sont un peuple originaires du sud de Sulawesi.
À ce jour, on recenserait 470 000 personnes habitants encore dans la région (sans compter ceux parti vivre ailleurs, qui serait dans les 150 000 individus).
La religion
Les Toraja sont principalement Protestants et très peu (contrairement au reste du pays) Musulmans (6,4%).
Les castes
Ce peuple fonctionne en 3 castes, encore très respectés aujourd’hui.
Il est intéressant de savoir que dans les castes, il n’y a pas de promotion. Vous ne passerez pas d’homme du peuple à nobles. Par contre, l’inverse est possible.
Les nobles : cette caste détient les principales richesses. Ils seraient les descendants des premiers Toraja.
Les guerriers/soldats : comme leur nom l’indique, il s’agit des Toraja responsables de la protection de ce peuple.
Les hommes du peuple : cette dernière caste regroupe les plus pauvres des Toraja.
Leur culture
Les Toraja sont principalement connus pour leurs rites funéraires, mais également pour leur architecture. C’est surtout leur culture de « l’après » que je souhaite vous partager.
L'importance de préparer sa mort
Avant de décrypter les codes de leurs rites, il faut comprendre leur concept de la vie et de la mort.
Puya
De confession chrétienne, depuis la fin du XIXe, leurs croyances se mêlent avec d’autres bien plus anciennes. Ils croient entre autre au paradis, qu’ils appellent Puya, mais n’y accèdent pas de la même manière que nous.
Ils croient beaucoup au Karma et essaient d’être respectueux de toutes choses afin de ne pas empêcher leur accession au paradis.
Toute leur vie, ils sont respectueux de la nature, des traditions, du vivant comme du mort.
Tous les actes qu’ils feront durant leur vie, se répercutera le jour de leur mort.
Vivant, malade ou mort
Les Toraja ont une croyance qui dit qu’une personne n’est pas morte tant que le rituel funéraire n’a pas eu lieu. On dit dans ce cas que la personne est « malade ».
Lorsque la personne devient « malade » (soit « morte » dans le langage occidental), un morceau de tissu blanc est accroché devant la maison, pour informer le reste de la communauté.
Le Toraja « malade » est momifié et gardé dans un cercueil au sein de la famille, dans une pièce dédiée. La famille fait régulièrement des offrandes au corps (cigarette, café, thé…) et lui parle.
Le coût d’une cérémonie
Malheureusement, les cérémonies sont couteuses pour les familles, de 10 000€ à plusieurs centaines de milliers. Il leur est rarement possible d’organiser une cérémonie dans la foulée du décès. Il est donc très fréquent que le corps reste dans la famille pendant des années : 5, 10 voir même plus de 20 ans.
J’avais rencontré (en 2018) le gardien du Pana Graves (sur la route de Batutmonga) qui m’a dit qu’il pourrait enterrer sa femme qu’en 2032… j’ai eu l’honneur de « rencontrer » sa femme, morte l’année passée, qui était dans son cercueil dans une pièce de la maison. Un moment très spécial, mais visiblement il était honoré de me la présenter.
La période entre l’état malade et la cérémonie funéraire s’appelle « Tamakula« .
Comment se prépare une cérémonie funéraire Toraja ?
Les codes qui régissent les cérémonies funéraires des Toraja d’Indonésie sont nombreuses. Il est passionnant de s’y intéresser deux minutes !
Création du site temporaire de la cérémonie
Si vous y participez, vous serez surpris par l’endroit. Construit avec d’énormes bambous, avec plancher et toiture. On a du mal à comprendre si c’était là avant ou pas. La réponse est non.
Une fois que la date de la cérémonie est fixée par la famille et le nombre d’invités connu, elle les communique au chef du village qui va se charger de la construction du « village temporaire« . C’est lui qui décidera de l’emplacement et qui fera appel aux entrepreneur du coin (bénévoles) pour la réalisation du village.
La construction peut prendre jusqu’à 2 mois.
Création de la maison temporaire
Les maisons temporaires sont les structures qui abritent les cercueil durant la cérémonie (elles ressemblent à de petites maisons Tongkonan, d’où leur nom de maison temporaire).
La fabrication peut durer jusqu’à une semaine et coute entre 600 et 1000€ par jour (le prix varie en fonction de la qualité, taille, etc.).
Une fois le cercueil dans son emplacement final (rocher, mausolée, etc.) la maison temporaire est abandonnée. Abandonnée dans le sens où ni le bois ni aucun morceaux n’a le droit d’être réutilisé pour autre chose, c’est tabou.
Vous verrez régulièrement des restes de maisons temporaires, à côté des maisons, en train de se décomposer.
Les Tau Tau
Les sculptures à l’effigie du défunt s’appellent des Tau Tau. Ils sont fabriqués en bois, de plus ou moins bonne qualité, dépendant de l’artiste qui le réalise.
Ils servent à se souvenir de la personne une fois disparu. Elle aurait également un pouvoir de protection.
Le prix varie, mais pour les plus chers, cela peut monter à 2000 voir 3500€ (souvent payé en buffle).
Les Tau Tau fabriqués en bois de Jacquier sont exclusivement réservés aux castes les plus hautes.
Les animaux
Les animaux ont une place importante dans la vie des Toraja. Pour comprendre l’importance des animaux, il faut connaitre leur intérêt dans la croyance Toraja.
Le but d’un Toraja est de s’élever au plus haut dans le paradis (Puya). Leur croyance veut que les animaux qui seront sacrifiés durant la cérémonie emporteront l’âme de la personne le plus loin possible dans les cieux. Donc plus il y aura d’animaux, plus son âme ira loin.
Commençons par la base. L’animal le plus important et sacré : le buffle.
Le buffle
Les buffles que vous verrez dans les rizières ne sont absolument pas exploités. Ils ne travaillent pas. Leurs utilités est de manger les mauvaises herbes et se rouler dans la boue pour avoir une belle peau.
Ils ont comme quasi seul intérêt d’être offert lors des cérémonies funéraires Toraja.
Il y’a une règle chez les Toraja d’Indonésie qui veut que lorsque l’on offre quelque chose aux obsèques d’une personne, la famille de la personne devra vous faire le même don lors de vos obsèques. Si vous offrez un buffle, on devra vous offrir un buffle.
Vous avez deux types de buffle : le buffle normal et le buffle tacheté (spoted buffalo). Ce dernier est bien plus cher, car beaucoup plus rare (il est incroyable avec sa peau rose et ses yeux bleus). En offrir un prouve votre richesse et votre rang social.
Les buffles normaux coute entre 1500 et 4000€, quand un buffle tacheté coute dans les 15 000€.
Si vous n’en êtes pas propriétaire, vous pouvez en acheter à Pasar Bolu (au nord de Rantepao), qui est le marché le plus grand de la région.
Lors des jours de cérémonies, vous verrez des ballets de camions transportant des buffles, sur les routes de campagne. Ils vont tous aux cérémonies en vue d’être offerts et sacrifiés.
Le cochon
Le cochon est le deuxième animal offert durant les cérémonies, car il aide lui aussi l’âme à s’élever. Il est assez commun car moins cher qu’un buffle.
Un cochon coute entre 60 et 300€.
Les autres animaux
Il peut arriver, mais très rarement, qu’on offre un cheval.
Rôle des animaux durant la cérémonie
Comme je le disais plus haut, les animaux sacrifiés emmènent l’âme au paradis. Mais pas que.
Les 2 premiers buffles sacrifiés ne seront pas mangés. Ce sont ces 2 animaux qui enfonceront les portes du paradis pour laisser le chemin libre à l’âme du défunt.
Dans un second temps, les prochains animaux sacrifiés serviront de nourriture à tous ceux qui ont aidé à préparer et organiser la cérémonie, ainsi qu’à tous les invités venus le jour J.
Les cochons seront utilisés pour préparer le Pa’ Piong (viande + légumes + riz, le tout mijoté dans un morceau de bambou).
La cérémonie funéraire des Toraja d'Indonésie
Durant la semaine de cérémonie, le cercueil est installé dans la maison temporaire et cette dernière est présente sur le site de la cérémonie. Comme pour veiller sur ses propres funérailles.
Les amis et familles commencent à arriver (de partout) sur le site et regardent les préparatifs en jouant aux cartes (vous verrez de nombreuses cartes par terre durant votre visite chez les Toraja d’Indonésie).
Tous les soirs, les hommes chantent en ronde le Mabadong (poèmes chantés en l’honneur du défunt, qui racontent son histoire). Ils se relaient pour que les chants ne s’arrêtent pas (ça peut durer jusqu’à minuit voir 2h du matin).
Durant cette période, les hommes construisent et les femmes préparent la cuisine. Seul le Pa’ Piong sera cuisiné par les hommes. Des invités viendront offrir riz et légumes pour la préparation de ces repas.
La cérémonie
Le jour principal de la cérémonie funéraire (généralement le deuxième jour) est celui où les invités sont tous réunis au village temporaire. Cette journée est très longue !
Ça commence au petit matin, les invités arrivent et sont répartis sur le site. Il y’a des numéros pour se repérer. Les invités sont dispatchés en fonction des villages de provenances et du statut social.
Un speaker procède au Rambu solo. Ce rite énonce au micro les offrandes faites par les invités. Cela permet à tout le monde de savoir qui a offert quoi et donc de montrer à tous sa richesse. Et c’est très très long.
Je me souviens de ce moment assez particulier, car il y’a beaucoup de monde (on devait être 400) et le speaker annonce les dons sur un fond de cris de cochons égorgés avec de temps en temps, un cochon qui s’échappe dans la foule.
Les cochons servent de repas le midi. On sert le Pa’ Piong sur des feuilles de bananier avec du riz.
Vous aurez le droit aussi à un peu d’alcool de riz. Avec un peu de chance, il ne vous rendra pas aveugle…
Une fois le repas terminé (qui s’étend quand même sur environ 2h30), ceux qui le souhaitent (essentiellement des hommes), forment une ronde autour du cercueil et chantent (fredonnent serait plus juste) le « Buan » ou « Badong » (j’ai entendu les 2 mots). Ce sont des lamentations en l’honneur du défunt.
Vous verrez souvent des caméras filmer la cérémonie. Ça permet à la famille de garder un souvenir.
Le départ du corps
Ensuite, la maison temporaire, contenant le cercueil (qui est supporté part de long et gros bambous permettant de la soulever) part faire le tour du village. Un dernier tour d’honneur. Ce qui peut être long comme rapide. Une trentaine d’hommes portent et une quarantaine de femmes tiennent les longues traînes de tissus (blanche et rouge) d’environ 10 à 15 mètres, accrochées à la maison temporaire.
Pendant la procession, les hommes qui portent, crient, rient, chahutent (il est interdit de pleurer durant la cérémonie) à en faire tomber le convoi. Ces cris seraient pour donner du courage au défunt dans son ascension.
Le maison temporaire revient ensuite sur le site et le cercueil en est retiré pour être installé sur un plus gros promontoire pour la suite de la cérémonie. Le cercueil sera placé de sorte à ce que la tête du défunt soit orienté vers le sud.
C’est à ce moment là que les invités viennent déposer des offrandes plus petites : cigarettes, thé, café, riz…
Sacrifices d'animaux aux cérémonies Toraja
Le troisième jour est assez particulier, car c’est à ce moment là que l’on sacrifie les animaux (ca commence vers 10h du matin).
Ces animaux serviront à emmener l’âme au paradis et la viande sera cuisinée est permettra de nourrir ceux ayant aidé à la cérémonie et les invités venu rendre un dernier hommage.
Il ne faut vraiment pas avoir peur du sang… ça sacrifie entre 5 et 120 bêtes… je me suis retrouvé à patauger littéralement dans le sang… c’est très très spécial.
On garde les cornes
Une des traditions que je préfère chez les Toraja d’Indonésie, consiste à accrocher à la maison (Tongkonan) du défunt, les cornes des buffles sacrifiés lors de la cérémonie, pour montrer sa puissance.
Souvenez-vous que plus vous avez de buffles offerts lors de votre cérémonie funéraire, plus vous êtes quelqu’un d’important. Donc plus vous aurez de cornes de buffles accrochés à votre maison, plus vous afficherez votre puissance passée.
On retrouve également sur les maisons des mâchoires de cochons et plus rarement, des Tuang-Tuang. Ce sont des guirlandes de bambous que l’on accroche à l’extérieur et qui sont réservés à l’élite.
L'après cérémonie
Une fois la cérémonie terminée, le cercueil est emmené dans son emplacement final.
Le plus traditionnel est dans un gros, voir immense, rocher, qui est une sorte de caveau familial. Ces rochers sont dans leur famille depuis des décennies voir centaines d’années et tous les membres de la famille y sont « enterré ».
Il reste peu de personnes qui connaissent la technique pour creuser ces tombes dans la roche. On m’avait parlé de seulement 3 personnes.
Il faut jusqu’à 7 mois de travail pour creuser une seule cavité, à la main.
Une hauteur qui compte
Il faut savoir que pour les Toraja d’Indonésie, le sol est sacré. Il est dédié au vivant et au récolte.
C’est pourquoi le cercueil ne touche jamais le sol.
Dans les rochers-tombeaux, plus la cavité est haute, plus le défunt est important.
Et pour les enfants ?
Pour les enfants en bas âge, les choses sont différentes. Ils sont « enterré » dans des arbres. On y creuse une petite niche, pouvant accueillir le corps du bébé, puis on referme avec des fibres de palmier. L’arbre, en poussant, emporte l’âme de l’enfant au paradis.
Cérémonie du Ma’nene
Les Toraja d’Indonésie ont une autre cérémonie assez spectaculaire. La cérémonie du Ma’nene consiste à sortir les corps des tombeaux, à nettoyer leurs tombes, nettoyer les corps et changer leurs habits. C’est un rite important pour les Toraja, qui y voient une possibilité de rendre hommage à leurs défunts.
Le rite
Ils exposent les corps dehors, leur mettent des lunettes de soleil, des cigarettes dans la bouche et les prennent en photo.
Grottes funéraires
Dans certains cas, chez les Toraja d’Indonésie ne pouvant offrir de grandes cérémonies à leur défunt, il y’a l’option grotte.
Londa est une d’elles. Depuis 100 ans, les Toraja viennent déposer des cercueil (encore aujourd’hui) dans cette grotte qui est sacrée. Années après années, l’humidité vient ronger le bois et les squelettes se retrouvent à découvert et des ossements jonchent le sol.
C’est la première chose que j’ai visité en arrivant, autant vous dire que ca mets dans le bain !
Une culture classée au patrimoine de l'UNESCO
La culture Toraja est inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2009.
Sur Sumatra ou sur des iles de la Sonde, on retrouve d’autres cultures funéraires extraordinaires. Mais les Toraja d’Indonésie sont les seuls à pratiquer ces rites.
Cette quantité de rite : buffles, baby graves, tombeaux dans les rochers, sacrifice d’animaux, momification des défunts, etc. en fait un peuple fascinant et unique.
Nouvelles générations de Toraja
Les nouvelles générations s’éloignent petit à petit de ces traditions. Certains Toraja ne croient plus aux rites, mais y participent pour le folklore.
Commentaire
4 CommentsThierry
Jan 3, 2024Très sympa de vous lire. Quel budget prévoir pour 2 personnes en sac à dos, en prenant les transports locaux, pour 1 à 2 mois en Indonésie
Nicolas
Jan 3, 2024Salut Thierry !
Ecoute, à l’époque (hors frais d’avion et de Visa) j’en ai eu dans les 1500€ pour 2 mois en sac à dos en dormant dans des logements simple allant de 2 à 8€ et en louant des scooter de temps en temps.
Je pense que tu peux ajouter 1000€ de plus pour une deuxième personne car tu partageras transport, logement, etc.
Je crois que j’avais calculé environ 27€ en moyenne par jour.
sara
Juil 1, 2024Bonjour Nicolas,
je découvre ton blog et c’est une mine d’or d’informations incroyablement bien rédigée merci pour ce partage. Nous recherchons un guide pour visiter le pays Toraja et assister a une cérémonie. As tu un contact a conseiller? ou Comment l’as tu trouve ? Merci d avance
Nicolas
Juil 3, 2024Bonjour Sara,
je ne sais pas s’il est toujours là mais tu as un mec qui m’a fait le guide pour une cérémonie qui a un boutique de scooter dans l’angle nord-ouest du stade « Lapagan Bakti ».
Sinon, tu peux demander à l’office du tourisme s’ils ont des contacts (et ils pourront te donner les dates et lieux de cérémonies).
Au pire, tu demandes à droite et à gauche. Sinon tu vas le matin ou soir à l’Hôtel Pison, tu as plusieurs guides qui attendent la bas.
Bon voyage 🙂